Toute une histoire...


Création en cours #4
Haute-Savoie (74)
janvier-juin 2020

Toute une Histoire... était un projet d'illustration grand format autour du patrimoine des régions alpines, observant le rôle des récits dans notre appréhension du territoire.
Le travail amorcé auprès des élèves de CM2 s'est malheureusement trouvé interrompu par l'urgence sanitaire. Les interventions en école ne pouvant reprendre, l'idée de départ a dû être réadaptée sous forme d’un programme “clé en main” remis à l’enseignante : le kit de transmission.
Le Passeport savoyard, au coeur de ce “kit de transmission”, reprend le principe du journal de bord que tenaient les enfants lors du projet initial. Ce carnet individuel est mis en page pour accompagner une série d’ateliers créatifs et les histoires locales dont ils sont inspirés. Le kit comprend également un guide pour mener les ateliers, ainsi qu’un set de huit tampons encreurs thématiques.
“Création en Cours” est un programme de résidence des Ateliers Médicis associés aux ministères de la Culture et de l'Éducation, qui soutient chaque année une centaine de projets sur tout le territoire français (métropole et outre-mer). La résidence s’organise entre des temps de recherches personnelles et des périodes d'intervention en milieu scolaire dans la commune d'implantation.



Janvier | La légende du Lac Bénit


En janvier, les élèves ont illustré La légende du Lac Bénit en s’inspirant de tapisseries mille-fleurs.
D’après cette histoire locale, un lac de la chaîne du Bargy vit paisiblement sa vie de lac, quand un jour, un terrible incendie se déclare et le dépouille de son écrin de verdure. Rendu furieux par la négligence des bûcherons et des charbonniers à l’origine du sinistre, il déborde de colère et menace d’inonder les villages de la vallée. Les habitants terrifiés et impuissants font alors appel à un ermite qui, selon les versions, parvient à raisonner les flots grâce à sa foi ou à un anneau magique jeté dans les eaux furieuses. C’est depuis cet épisode que ce lac de la chaîne du Bargy porte le nom de “Lac Bénit”. 
La même semaine, les enfants ont composé chacun leur “carte mentale” d’après les lieux qui leurs étaient chers, qu’ils s’agissent d’espaces de leur vie quotidienne ou de leur imaginaire.

Ces cartes ont révélé de forts contrastes, avec des univers plus ou moins circoncrits aux limites de la vallée. Quand certains enfants pouvaient se rendre à la piscine ou en montagne, rêver du mont-Blanc ou d’une maison de vacances, d’autres ne voyaient pas au delà du McDonald et du Super-U.


Février | La mémoire du glacier


En 1950 et en 1966, deux avions de ligne d’Air India pércutent le mont Blanc presque au même endroit sous le sommet. Le premier crash, celui du Malabar Princess, provoque une vive émotion dans la vallée tandis que le second, celui du Kangchenjunga, semble plutôt déranger les autorités. Des deux catastrophes il ne reste aucun survivant. Passé le choc du drame humain, l’histoire aurait pu s’arrêter là et tomber progressivement dans l’oubli. Pourtant, des années plus tard le glacier des Bossons renvoie ces évènements au cœur de l’actualité : dans sa descente naturelle, l’immense langue de glace commence à restituer des débris d’avions, des bagages, et des corps humains.
Chaque année, de nouveaux morceaux ressurgissent et ravivent le souvenir, ou bien atterissent sur ebay...
En 2013, un alpiniste retrouve des diamants, pour la plus grande joie des médias qui voient le fait divers prendre des allures de feuilleton d’aventure.  
Fantômes, trésors, secret d’état, ... Depuis plusieurs décénnies, le glacier des Bossons alimente les légendes urbaines et entretient son propre mythe. Si cette histoire reste impregnée dans la mémoire collective, la question du souvenir des victimes y reste souvent secondaire.

Après l’évocation de ces évènements et des débris retrouvés, les CM2 ont abordé le thème de la mémoire des objets et ont réalisé collectivement des inventaires dessinés sur post-its. Cet exercice fût également l’occasion d’appréhender ce récit autrement que via le prisme sensationnaliste, et de comprendre le fonctionnement d’un glacier.
Lors de cette semaine autour de l’histoire du mont Blanc, les élèves ont aussi réalisé des bande-dessinées grand format à plusieurs mains. Six histoires ont été racontées :
- la première ascension du mont Blanc par Jacques Balmat et le Dr Michel Paccard en 1786
- la première ascension féminine de Marie Paradis en 1808
- la seconde ascension féminine, cette fois-ci en tant qu’alpiniste, par Henriette d’Angeville en 1838
- les premiers Jeux Olympiques d’hiver à Chamonix en 1924
- le glacier des Bossons, mémoire des passagers d’Air India
- et enfin l’Affaire Vincendon et Henry à l’origine de la création des PGHM.



Mars | Plan neige 


Ce mois-ci nous devions nous rendre en sortie ski de fond, mais le confinement en a décidé autrement. Les plans sont contrariés, le projet de résidence également. Nous irons malgré tout au ski, mais d’une autre façon.
À distance nous revenons sur l’histoire de ce moyen de locomotion devenu loisir, et la façon dont il a colonisé les montagnes françaises au siècle dernier. Nous évoquons notamment les “plans neige” lancés dès les années 1960 qui changent radicalement le paysage des Alpes avec la construction de remontées mécaniques et de buildings pour accueillir les vacanciers.  
Les enfants sont conviés à l’opération imaginaire “plan neige 2020”, qui propose d’imaginer la station de ski du futur, plus éco-responsable et plus respectueuse des autres occupants de la montagne. Passages piétons pour marmottes, collaboration avec les Yétis, remontées mécaniques à pédales, ... tout est permis !

Sur une trentaine d’élèves, une moitié seulement se prête au jeu, les œuvres restent très timides ou stéréotypées. Les travaux sont radicalement différents de ceux produits en classe les mois précédents. L’absence d’accompagnement et de motivation se fait sentir.  



Avril | La Bête 


Nous vivons reclus depuis plus d’un mois à cause d’un ennemi invisible et meurtrier dont on ne sait rien et tout à la fois. Si chacun y va de sa théorie, rumeur ou expertise, une règle venue d’en haut l’emporte sur les débats : “pour l’instant, restez chez vous”.
Cet épisode de peur collective résonne alors avec d’autres ... Dans les campagnes françaises aux siècles derniers, il a fallu faire face à un autre type d’ennemi preneur de vie, invisible mais omniscient, et contraignant au confinement : la bête
On connaît surtout celle du Gévaudan, mais la France a compté moult attaques du même ordre. La région des Alpes ne fait pas exception.
 
Le compte parodique et humoristique La Bête du Grésivaudan (David Gautier, éd. Boule de Neige) nous donne l’occasion de lancer la réalisation de bestiaires à distance avec les enfants. On constate sans surprise qu’un même témoignage peut génèrer des portraits robots très divers.
Le contact avec les élèves devient de plus en plus difficile, l’enseignante est surmenée et plusieurs familles sont dépassées... Les échanges cessent bientôt.  




Septembre | Le Passeport Savoyard 


Les restrictions post-confinement ne permettant pas de nouvelle intervention en classe, le projet initial est interrompu et les élèves quittent l’école primaire quelques mois plus tard.  
Afin de boucler malgré tout la résidence, les Ateliers Médicis proposent l’élaboration d’un “kit de transmission”, un programme de travail clé en main, qui sera remis à l’enseignante et à sa nouvelle classe en septembre.
Lors des premières semaines de travail, les élèves étaient équipés d’un carnet de bord dans lequel ils devaient rendre compte de leurs découvertes et des ateliers effectués. Cette idée a été reprise et développée pour créer le Passeport savoyard, inspiré du Passport To Your National Parks® américain.

Ce carnet bleu est mis en page pour accompagner plusieurs ateliers créatifs (illustration, bande-dessinée, découpage, composition, ...) tous liés à une histoire de la région. Il aborde notamment la légende du lac Bénit, la mémoire du glacier des Bossons, les plans neige, l’histoire de l’horlogerie et du décolletage, “la bête”, la Résistance du maquis des Glières, ...
Le carnet propose également des petits exercices de dessin ludiques inspirés du Livre d’anti-coloriage (Susan Striker, Edward Kimmel, éd. Seuil Jeunesse) 
Durant la résidence des linogravures thématiques avaient été réalisées pour s’intégrer aux carnets de bords des enfants. Ce concept a été repris pour l’élaboration du kit du Passeport savoyard. La linogravure a cependant été remplacée par le tampon encreur, plus simple à réaliser et à manipuler. 
Pour chaque histoire, un motif spécifique a été dessiné. Les passeports sont fournis avec un set de huit tampons en bois, que l’instituteur ou l’institutrice peut venir aposer pour valider l’avancée des enfants à la fin de chaque chapitre.


Le kit du Passeport savoyard a été remis à une nouvelle classe à la rentrée 2020. La levée des restrictions a permis quelques visites pour aller jeter un coup d’œil aux carnets en cours d’utilisation.
Cette résidence en Haute-Savoie et les histoires rencontrées en route ont inspiré l’album de bande-dessinée Dans l’Ombre du Mont-Blanc, publié aux éditions Dargaud en septembre 2021.